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« Pôvres petites couleurs »
dimanche 18 août 2013
Présentation
Né en 1929, il avait fait ses premiers pas dans le théâtre dans les années 50 à l’École du Théâtre du Nouveau Monde où il avait remporté le premier prix de la comédie en 1952.
Après un séjour à Paris, il créa Sol, un clown auguste pour la série « Bim et Sol » qui deviendra plus tard « Sol et Gobelet ». Marc Favreau se rappelle le plaisir de jouer ce personnage malgré le manque de ressource financière de l’émission. « Ça nous a permis d’être un peu fous, un peu surréalistes », avait-il dit lors d’une entrevue à l’émission « L’indicatif présent », sur les ondes de la Première Chaîne de Radio-Canada.
Marc Favreau a déjà raconté que lui et son comparse, feu Luc Durant, ne voulaient pas ennuyer les parents qui écoutaient cette émission avec leurs enfants. « C’est pourquoi, en s’inspirant de notre modèle Chaplin, on s’efforçait d’inclure des gags absurdes qui allaient accrocher les adultes autant que les enfants », a-t-il dit, lors d’une entrevue au quotidien Le Devoir.
Lorsque cette série prendra fin en 1972, Marc Favreau reprendra le personnage de Sol, privilégiant le monologue, sur différentes scènes au Québec et à l’étranger, dont une présence au Festival d’Avignon, en 1977 .
Son plaisir : faire rire, de façon intelligente, en jouant avec les mots et les expressions de la langue française. Ainsi, « les jeux olympiques » s’étaient transformés en « oeufs limpides » et le premier ministre est devenu « le premier sinistre ».
« Elle est riche la langue, elle est imagée ; on n’a pas le droit de l’appauvrir et de la garder pauvre. Au contraire, on doit s’exciter autour de la langue. Et s’amuser, pourquoi pas ? », a-t-il déjà déclaré.
Il n’a jamais vraiment cesser de faire vivre Sol, donnant encore une série de spectacle « Prêtez-moi une oreille à une tentative », cet automne. Il devait d’ailleurs le présenter de nouveau à Montréal et en province à compter de février 2006.
La naïveté de Sol permettait à Marc Favreau de prendre position sur différents sujets sociaux, lui qui refusait de faire rire seulement pour faire rire. « On n’a pas le droit de faire juste du rire gratuit. Raconter des blagues, c’est drôle quand on est entre amis, mais sur scène, ça ne me suffit pas », avait-il expliqué à l’hebdomadaire « Voir », en mars dernier.
« Pôvres petites couleurs »
Vidéo
En texte
c’est pas toujours drôle la vie d’une couleur
c’est pas toujours rose...
Quand elle est toute petite la couleur
la première chose qu’on lui fait
on l’emprisouille dans un pot ou dans un tube
toute seule !
Jamais deux couleurs ensemble !
Elles se connaissent pas encore les couleurs
elles peuvent pas encore se voir en peinture...
Puis un jour comme ça par hasard
l’artisse se réveillonne et se fâche :
on a pas le droit de mettre les couleurs en prison !
Y a qu’à voir le monde
le monde est grisonnant, trixte et mélancolorique
Finies les idées noires !
Et alors le grand totomatisse
devient fauvette,
Il écrabouine les tubes,
il déboussole les pots,
il libérationne les couleurs et les tartine
sur une grande toile très impressionnisée
Et c’est un cacao esstradinaire !
Les couleurs sont folles furieusement braques !
Elles se mésangent
et se soulagent et se superpositionnent
et se condimentationnent arc-en-cielement.
Ça vermillonne partout
le rouge gorge le noir de son carmindigo
et chauffe le violet qui fond et se guimauve...
et l’émerôde
l’émerôde autour des bleus
qui se turquoisent
et s’azurent et se grisent...
la terre fait des siennes et dérouille les embruns...
le jaune se laisse aller
le jaune devient médiocre et bientôt passe au vert
vert de terre vert-de-gris et vert de jalousie...
Et ça roule sur la toile
et ça roule et ça gerbe de soleil en folie
ça mirote
et ça mousse
et ça devient léger
ça moduglianise dans tous les demi-tons
l’orange cramoisit dans le buffet kaki
le matériau pèle
l’outremer déborduase
Inondant la palette de chrome envahinée
qui écarlate enfin
dans une apothérose émouvantablement supercolorifique !
Mais ça finit pas là.
La toile il faut la faire sécher ;
on la sort, on l’étend sur la galerie
et alors là tout un monde se précipitationne
c’est l’attraction lyrique
et pas n’importe quel monde :
un monde très gratiné
toutes sortes de collationneurs de chèvres d’oeuf
toutes sortes d’épicurieux
des grignoteurs de pistachistes
des dadamateurs de peinture contemporeuse
des brosseurs de tabloïds
qui peignent fin de siècle
des exhibibites en oblongues
qui ratent jamais un vermicelle
et qui viennent là pour visonner
et ça clapote et ça clapote...
Mais le vrai tergivernissage
c’est quand les hypocritiques arrivent.
Ils se reconnaissent bien les hypocritiques
ils arrivent toujours en habit de rigueur
ou en imper réaliste...
Ils viennent pas là pour faire du plaisanting
ils sont là pour casser la croûte !
Ils zyeutent ils scrutinent ils examinouillent
ils manquent rien
pas un petit bétail qui leur écharpe
Ils ont l’oeil impardonnable
et le jugement dernier...!
Et ils s’extasent, ils s’évermouillent,
ils se formalinent de tout
et se défulminent de rien,
ils deviennent vitupérationnels
et se racontent d’amères disances et des calcomanies...
mais ils s’expressionnent tant complexement
que nous on comprend rien...
Ils ont sûrement la langue trop fermétique !
Et pourtant y en a des choses à voir
des choses à dire sur la toile,
elle est là, elle se laisse faire,
y a qu’à la regarder la toile...
C’est un gigantesque pic-à-braque de guitares
en multi-cubes
C’est un trésor
un riche trésor dalidada
plein de lèvres qui susurréalisent et se béquillent
dans un désert de montres molluxes...
Un peu partout des nez
toutes sortes de nez
des nez au cube
des nez au réalisse
des nez au futurisse
de longs nez qui s’arrêtent et font demi-tour eiffel...
Ici c’est une ancienne belle qui magritte à vue d’œil
on la soutine
on lui fait une chirico-plasticine...
Plus haut c’est une chagallerie
qui plane et qui parachutise des ânes
avec leurs émules à bec...
Des vipères réalistes sortent de partout
en longs kimonochromes
qui motorisent le porc du bikini...
L’art s’amuse
et se popcornemuse...
Mais la toile aime pas ça,
la toile refuse global son jeune cadre angulaire...
Ça gronde et ça gromaire au loin
et bientôt la grenadine explositionne
C’est la guernicasso !
L’affreuse qui coupe les chevaux en quatre
et sanguine les toros ! L’art exprimitif !
L’art cri !
L’art graphigne tant tellement l’environning
l’art devient cinétique si frénétique si tant bernétique
qu’on est obligé de l’enfermer
dans un muselé
avec de grandes portes pleines de fermetures...
Et c’est fini
la pôvre petite couleur est encore emprisouillée
elle voyera plus personne
seulement le vieux conserviteur du muselé
qui fait son promening
et qui garde
sans regarder...